Illustration (Freepik / ImmoPotam).

Investissement locatif : mémento sur la procédure d’expulsion

On a parfois affaire à des magiciens. Des qui vous diront qu’ils ont la solution, rapide et efficace. Que si vous leur faite confiance, votre déplorable locataire, celui qui ne paye pas ses loyers, qui génère des nuisances dans tout l’immeuble, ne sera prochainement qu’un lointain souvenir. “Une procédure d’expulsion ? En trois mois tout est réglé !”. Il ne s’agit évidemment ici que de magie et, sauf à être un enfant, vous n’ignorez pas que ce type de promesse n’est pas réaliste et surtout pas réalisable. Alors, d’autant plus en matière d’expulsion locative, privilégiez le concret.

Que vous soyez bailleur ou locataire, je ne vous apprendrais rien. Le droit locatif est extrêmement encadré en France. A juste titre, la législation protège la partie faible, soit le locataire. La Cour de Cassation l’a encore rappelé récemment, en condamnant un bailleur à indemniser un locataire pourtant en situation irrégulière du fait de l’insalubrité du logement (Cass. Civ.2ème, 15 septembre 2022, n° 19-26.249). A ce titre, il n’est pas étonnant que la mise en œuvre d’une procédure d’expulsion soit autant encadrée. Cela ne tient pas à la complexité de la législation sur les baux civils ou l’application de la loi du 6 juillet 1989, mais sur une volonté de prémunir des actions abusives étant donné la conséquence majeure d’une telle procédure… Soit l’expulsion.

De ce fait, il faut comprendre que les délais pour expulser sont par nature longs et incompressibles. Aucun bailleur, aucun mandataire locatif, ni même aucun avocat ne saurait les réduire. Il n’y a pas de magie et si vous souhaitez tout de même vous essayer à cette pratique, vous encourez des risques. Tout d’abord, celui de se faire arnaquer. J’évoque ici la nouvelle pratique qui consiste à rémunérer votre locataire pour qu’il accepte de quitter le logement. Pire encore, vous risquez des sanctions pénales. Tel est le cas si vous tentez de déloger de force votre locataire, même en situation irrégulière. Ce fait constitue un délit pénal susceptible de trois ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amendes. Alors, prenez votre mal en patience car en moyenne une procédure d’expulsion prend un an et demi. Et encore, c’est la moyenne optimiste. Si cela vous effraie, pensez à vous renseigner sur les précautions à prendre pour un investissement locatif. Si la situation est déjà installée, je vous invite à poursuivre la lecture.

I. Les six motifs légaux pouvant justifier une expulsion

Rappelons à titre limaire que l’expulsion est une situation exorbitante du droit commun. Cela signifie que jusqu’à preuve du contraire, un bail est valide et que la simple volonté d’y mettre un terme ne suffit à justifier une expulsion. Cette remarque s’adresse évidemment à toute velléité de bailleur qui, ne voulant plus louer son bien, chercherait une excuse pour ne pas respecter son préavis.

  • Le locataire a menti sur son identité ou sa situation

Il s’agit ici d’une application pure et simple du droit contractuel. Au-delà des règles spécifiques de la loi du 6 juillet 1989, le bail est un contrat de droit commun qui doit respecter les règles des articles 1101 et suivants du Code civil. De ce fait, toute manœuvre visant à obtenir le consentement de l’autre partie, en l’espèce le bailleur, constitue un dol étant sanctionné par la nullité rétroactive du contrat de bail (article 1137 du Code civil).

  • Le locataire ne s’acquitte pas régulièrement de ses loyers

C’est certainement la cause la plus usité en matière d’expulsion. Des audiences spécialement dédiées à cette problématique ont même été créées dans certaines juridictions. Les articles 1728 du Code civil et 7a de la loi du 6 juillet 1989 énoncent l’obligation du locataire de payer les loyers et les charges au terme convenu. A défaut, l’article 1741 du Code civil dispose de la résiliation judiciaire pour manquement du preneur à ses engagements locatifs.

  • Le locataire n’est pas assuré contre les risques locatifs

En application de l’article 7g de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est tenu “de s’assurer contre les risques dont il doit répondre en sa qualité de locataire et d’en justifier lors de la remise des clés puis, chaque année, à la demande du bailleur. La justification de cette assurance résulte de la remise au bailleur d’une attestation de l’assureur ou de son représentant“. L’absence de respect de cette condition est un motif de résiliation du bail et donc d’expulsion.

  • Le locataire ne respecte pas le terme de son contrat ou le congé

Quelle que soit la forme du congé, pour reprise, pour vente ou pour motif légitime et sérieux, sa délivrance régulière entraîne le non-renouvellement du contrat de bail. De même que pour les baux à durée déterminée, le terme entraîne une obligation de restituer les lieux. Le locataire qui s’y maintient en dépit de cela se trouve dès lors en situation irrégulière et s’expose valablement à une procédure d’expulsion.

  • Le locataire aliène le bien et/ou ne respecte pas la destination du contrat de bail

Si le locataire doit pouvoir jouir paisiblement du bien loué (article 1719 du Code civil), cela ne signifie pas qu’il dispose de son bail à son bon gré. De ce fait, l’article 8 de la loi du 6 juillet 1989 rappelle que la sous-location ou la cession de son bail sans accord exprès du bailleur est interdite. De tels agissements constituent des motifs valables d’expulsion. De même, un locataire qui effectue des travaux de modification de son appartement en l’absence de tout accord du propriétaire s’expose à une procédure. Enfin, l’article 7 de la loi du 10 juillet 1989 impose au locataire d’user de la chose louée conformément à sa destination. En d’autres termes, l’exercice d’une activité commerciale dans un logement sous la régie d’un bail civil est interdite. Sauf exception, notamment pour la domiciliation d’une jeune entreprise dans les deux premières années, le non-respect de la destination du bail constitue un motif d’expulsion aux torts exclusifs du preneur.

  • Le locataire a des agissements illicites et cause un trouble au voisinage

Les hypothèses sont nombreuses. Il peut s’agir d’une activité pénalement répréhensible (trafic de drogue par exemple), d’une activité causant un trouble pour les voisins (créer un foyer pour chiens errants dans son appartement par exemple), ou encore d’un usage contraire au règlement de copropriété de l’immeuble (notamment en cas d’existence d’une clause dite bourgeoise). Dans tous les cas, le propriétaire bailleur pourra agir et dénoncer le contrat de bail. En outre, le syndicat des copropriétaires dispose d’une action subrogatoire et pourra également solliciter l’expulsion.

II. La mise en œuvre de la procédure d’expulsion

  • Le préalable impératif à l’engagement de toute procédure

En fonction du motif d’expulsion, l’acte préalable varie.

    • L’expulsion est fondée sur un congé

Dans ce cas, le bailleur doit faire délivrer le congé dans les formes prévues par la loi et dans les délais prescrits, à savoir six mois pour un bail non-meublé et trois mois pour un meublé, avant la date d’anniversaire du bail. En outre, en cas de congé pour vente, une offre au prix doit être présentée prioritairement au locataire qui bénéficie d’un droit de préemption. Enfin, et c’est un conseil, que vous soyez locataire ou bailleur, le congé doit être signifié par huissier ! La Cour de Cassation a encore rappelé les écueils d’une notification par simple courrier recommandé (Cass. Civ.3ème, 21 septembre 2022, N° 21-17.691).

    • L’expulsion est fondée sur impayé ou sur un défaut d’assurance

En général les contrats de bail prévoient des clauses dites “résolutoires” qui permettent d’obtenir la résolution de plein droit du contrat de bail en cas de défaut de paiement ou d’assurance. Dans tous les cas, même en l’absence de clause, avant tout engagement d’une procédure judiciaire, le bailleur doit faire délivrer un commandement de payer ou de justifier de l’assurance. Le commandement doit être assorti d’un délai de deux mois en faveur du locataire et être signifié par huissier. En outre, il doit être notifié sans délai à la préfecture, la CCAPEX, sous peine de nullité de la procédure.

    • L’expulsion est fondée sur les autres motifs, notamment pour utilisation illicite des locaux

Dans ce cas, c’est le droit commun qui s’applique et qui impose, comme toute procédure, une mise en demeure préalable du locataire comportant une tentative de conciliation. A défaut, les parties s’exposent à un renvoi de l’affaire en conciliation préalable.

  • La mise en œuvre de la procédure d’expulsion

Si en dépit des actes préalables le locataire ne s’exécute pas, le bailleur doit introduire une action judiciaire par la voie d’une assignation. Cet acte, signifié par huissier, permet de saisir soit une juridiction du fond, soit une juridiction des référés. L’avantage des référés est qu’il s’agit d’une procédure dite d’urgence et le bailleur obtiendra une date d’audience dans un meilleur délai. Toutefois, le juge des référés est un juge de l’évidence et en cas de contestation sérieuse la procédure tombera à l’eau. De ce fait, la procédure classique est parfois privilégiée par les avocats et à juste titre, étant donné que, dans les hypothèses de loyers impayés, l’assignation doit de toute façon être notifiée à la CCAPEX au moins deux mois avant la date d’audience. De ce fait, l’audience sera nécessairement plus lointaine.

En outre, l’affaire peut être reportée si la partie adverse sollicite un renvoi. En matière judiciaire, il faut savoir que les premières demandes de renvoi sont quasiment de droit et qu’en cas de dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle, l’affaire sera systématiquement renvoyée dans l’attente de la désignation d’un avocat au titre de cette aide. Autant de renvoi qui auront pour conséquence de prolonger l’affaire.

  • La mise en œuvre du jugement d’expulsion

Une fois le jugement d’expulsion rendu, c’est au tour de l’huissier d’intervenir. Il devra tout d’abord signifier la décision pour faire courir le délai d’appel et, si la décision n’accorde pas de délais au locataire, faire délivrer un commandement de quitter les lieux sous deux mois. A l’issue de ce délai, soit le locataire est parti. L’huissier procède à un constat et une repris du domicile. Si en revanche le locataire se maintient, dans ce cas, l’huissier devra solliciter le recours à la force publique auprès de la préfecture. C’est dans cette hypothèse que la procédure peut durer. D’abord parce que la préfecture n’a évidemment pas le droit d’expulser durant la trêve hivernale (du 1er novembre au 31 mars inclus). Ensuite, parce que le locataire peut tout faire pour retarder l’intervention de la préfecture : saisir le juge de l’exécution pour demander des délais supplémentaires, déposer un dossier de surendettement auprès de la Banque de France, faire une demande DALO (Droit Au Logement Opposable)… Tous ces aléas auront pour conséquence de retarder l’expulsion ! Ce qui explique certaines longueurs.

  • Si la procédure dure : la responsabilité de l’Etat

Il faut savoir que l’absence de mise en œuvre d’une expulsion est souvent imputable au refus de la préfecture d’intervenir (cf. motifs précédemment cités). En tout état de cause, il s’agit d’une responsabilité de l’Etat envers le bailleur lésé. Pour compenser cela, une procédure d’indemnisation a été instaurée. Elle consiste, à compter de l’itérative de l’huissier auprès de la préfecture, à former à un recours gracieux pour obtenir une somme d’argent. En général, les recours gracieux sont suffisants et les bailleurs obtiennent une indemnisation. Si les sommes d’argent ne sont en aucun cas mirobolantes, elles peuvent toutefois apaiser des bailleurs épuisés par les recours. Cette procédure n’est donc pas à négliger.

Vous l’aurez donc compris, la procédure d’expulsion n’est pas de tout repos. Si je suis certain que cet article vous aura permis d’en comprendre les grands axes, l’intervention d’un avocat reste primordiale pour éviter de perdre plus de temps.

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Charles Dulac

Fondateur de Dulac Avocat et contributeur pour ImmoPotam. Sujets de prédilection : copropriété, syndic, résidence principale, investissement locatif, Ile-de-France... Tous ses articles Le contributeur est enregistré sous l'identifiant SIREN n°827.880.261.