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Evergrande ou le marché de l’immobilier chinois au bord de l’explosion

Cette semaine peut être déterminante pour le marché de l’immobilier chinois qui scrute avec une grande attention la situation d’Evergrande. Mais comment le deuxième promoteur immobilier chinois peut-il se retrouver au bord du précipice ? Au point d’entraîner toute une économie avec lui dans sa chute ?

C’est un secret pour personne : la Chine est historiquement communiste. Autant dire que la notion de propriété n’a jamais vraiment été dans les mœurs et que les fantasmes de spéculations ne sont pas particulièrement bien perçus. Pourtant, lorsque la Chine s’est ouverte au monde, ses rêves de grandeur se sont déployés à vitesse grand V sur le marché de l’immobilier avec la construction express d’immenses gratte-ciels dans toutes les grandes villes de l’Empire du Milieu. C’est ainsi, qu’en 1996, Xu Jiayin, jeune entrepreneur spécialisé jusqu’alors dans la métallurgie, se retrouve à fonder Evergrande. Il démarre “modestement” avec un premier projet immobilier à Canton qui se résume à 323 appartements vendus en une demi-journée pour un chiffre d’affaires de 80 millions de yuans (soit un peu moins de 10 millions d’euros pour l’époque).

Fort de ce succès, Xu Jiayin continue les opérations immobilières et voit sa fortune grossir de manière exponentielle. Toute la Chine a les yeux braqués sur lui et sa success-story atteint un premier sommet en 2009 lorsque Evergrande est introduite en Bourse et lève ainsi 70,5 milliards de dollars hongkongais (l’équivalent de 7,5 milliards d’euros). Evergrande est alors la plus grande société immobilière privée de Chine et Xu Jiayin devient l’homme le plus riche du continent. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes : il développe les véhicules électriques, s’intéresse aux panneaux solaires, contribue à l’essor du tourisme de masse en Chine et investit dans l’eau en bouteille, les assurances et la santé. Bien sûr, comme Xu Jiayin est dans l’immobilier, il diversifie son activité principale aussi bien dans le résidentiel que dans, l’hôtellerie, les parcs de loisirs et les centres commerciaux pour répondre à une demande toujours plus forte des Chinois consuméristes.

L’argent coule tellement en abondance dans la vie de Xu Jiayin qu’il s’offre un yacht à 60 millions de dollars. Il se passionne aussi pour le football, au point de racheter le club de Guangzhou et d’y accoler le nom de sa firme pour accroître sa renommée tout en essayant de faire venir les plus grands noms de la planète (les amateurs retiendront les passages de Marcello Lippi, Luis-Felipe Scolari, Fabio Cannavaro et Robinho). Depuis que Xu Jiayin est aux commandes du club, il a noué un partenariat avec le grand Real Madrid de Florentino Pérez (acteur majeur du BTP en Espagne), ce qui lui a permis de remporter huit championnats de Chine et deux Ligue des Champions asiatiques notamment. Fort de ces succès sportifs, il a lancé la construction d’un stade, qui servira aussi de centre commercial, pouvant accueillir 100.000 personnes pour un coût de construction de 1,6 milliard de dollars…

Pour Xu Jiayin, il doit sa réussite uniquement à l’éducation et au Parti Communiste chinois. Les mauvaises langues lui rappelleront que son succès s’explique par son amitié avec le frère de Wen Jiabao, l’ancien premier ministre (2003-2013). Sauf que les dirigeants ne sont pas éternels et lorsque le pouvoir a changé de mains, les mouches ont changé de vaches. Xi Jinping est devenu président et Wen Jiabao a été remplacé par Li Keqiang : les deux hommes ont alors axé leur politique sur une prospérité commune, une notion clé pour tout membre du Parti Communiste chinois digne de ce nom. Depuis ce changement de pouvoir, la richesse de Xu Jiayin est passée de 43 milliards de dollars à un peu moins de 9 milliards de dollars aujourd’hui : le reste à vivre est largement satisfaisant mais il doit quand même se mouiller la nuque quand il découvre ses relevés bancaires…

La crise d’Evergrande, c’est d’abord une crise des centres commerciaux

Comme beaucoup de promoteurs immobiliers dans le monde, Evergrande, comme on l’a évoqué précédemment, s’est diversifié en allant sur le marché du résidentiel, de l’hôtellerie, des centres de loisirs, des bureaux et des centres commerciaux. Or, avec une pandémie mondiale et de très lourds confinements, toute l’activité immobilière a fortement été impactée sans exception. Si en France le gouvernement a déployé du chômage partiel et favorisé des prêts garantis par l’Etat, la Chine n’a pas eu la même générosité avec les entreprises. Dès lors, Evergrande s’est retrouvé avec des locaux commerciaux, des hôtels et des bureaux en défaut de paiement pour cause d’absence d’activité. Ce manque à gagner a grandement contribué à alourdir la dette de l’entreprise.

La crise d’Evergrande, c’est aussi un détournement du prêt à destination des professionnels

Avant la crise sanitaire, le crédit immobilier en Chine était relativement haut, aux alentours de 5-6%, et avait connu de nombreuses baisses significatives qui avaient contribué à la flambée des prix (2008, 2009 et 2015), rendant le secteur très volatile et fortement spéculatif. Après une pandémie mondiale, pour permettre à l’économie de redémarrer et soutenir les petites entreprises, le gouvernement chinois a favorisé la réduction des taux d’intérêt des crédits professionnels (de l’ordre de 3-4%) et accepté qu’ils ne soient plus remboursés en trois ans mais en vingt ans comme pour le crédit immobilier. Pour pouvoir se loger et accéder à la propriété, beaucoup de Chinois se sont rués vers ces crédits professionnels bien plus faciles à avoir et bien moins onéreux, quitte à jouer avec des garanties financières et des garanties hypothécaires. Sous la bienveillance des agents immobiliers et avec la complicité des établissements bancaires, de nombreux prêts professionnels ont pu être accordés à des particuliers alors qu’ils auraient dû être adressés à des petites entreprises ou des commerces individuels. Ce qui devait être une aide pour soutenir le tissu économique local s’est alors transformé en un formidable outil de spéculation immobilière. Le gouvernement, qui a beau être communiste, connaît parfaitement le fonctionnement d’une économie libérale et s’est rendu compte que les règles du jeu n’avaient pas été respectées : en 2020, les prêts professionnels des ménages représentaient 1,7 billion d’euros, soit 20% de plus qu’en 2019. C’est ainsi qu’en fin d’année la Banque Centrale et la Commission Chinoise de Règlementation des Banques et des Assurances ont dû taper du poing sur la table en demandant à toutes les banques de contrôler scrupuleusement la destination du prêt qui avait été accordé sous peine de sanctions exemplaires. De nombreux acheteurs ayant eu recours à un prêt professionnel ont alors reçu une notification de leur banque leur demandant de rembourser leur crédit avant la date limite. Beaucoup de clients ont été pris par surprise et ont dû rembourser plusieurs millions de yuans, ce qui les a inévitablement contraint à vendre leur bien immobilier dans la précipitation (avec de belles affaires à saisir à court terme).

En détournant un prêt professionnel, beaucoup de liquidités se sont retrouvées abondamment sur le marché de l’immobilier, contribuant à la flambée des prix et à la mise en chantier de nombreuses constructions. Depuis le second semestre 2020, les entreprises ayant accordé des crédits professionnels, à la consommation et au logement doivent toutes être inspectées : si des fonds existants sont arrivés de manière irrégulière sur le marché immobilier, le crédit doit être remboursé en avance. C’est pour cela que les personnes ayant acheté un logement grâce aux prêts professionnels ou aux prêts à la consommation peuvent désormais recevoir à tout moment un avis de remboursement anticipé de la part de la banque. Face à toutes ces incertitudes sur le marché de l’immobilier et aux banques qui doivent lutter contre la spéculation, Evergrande, de part son envergure, se retrouve à subir de plein fouet un marché attentiste sous la menace de sanctions.

Evergrande, un géant qui s’appuie sur la dette

En Chine, les règles de commercialisations et de mises en chantier sont plus souples qu’en France. Pour pouvoir démarrer les travaux, un promoteur n’a pas besoin de garanties financières et peut se faire prêter les fonds directement par la banque, ce qui est pratique quand tout va bien et que le succès commercial est très vite au rendez-vous. Habitué à vendre vite et bien, Evergrande a pu se déployer très rapidement en s’appuyant sur de la dette. Sauf qu’avec une série de confinements, un marché qui tourne au ralenti et le coût des matières premières qui explose, le cercle vertueux d’Evergrande s’est alors transformé en cauchemar. Aujourd’hui, ce géant de l’immobilier chinois se retrouve avec 1,4 million de logements en cours de construction : ce qui pouvait être une force devient désormais une faiblesse au regard de la situation sanitaire et du marché du prêt immobilier.

Pire, pour ne rien arranger et éviter que les promoteurs s’appuient à nouveau sur la dette, le gouvernement chinois impose aux promoteurs de d’abord construire leurs logements et ensuite de les vendre. Sauf que construire 1,4 million de logements, même si la Chine construit plus vite qu’en France, cela prend un petit moment et les promoteurs se retrouvent à décaisser des liquidités pour respecter leurs engagements et s’approvisionner auprès de leurs fournisseurs sans pouvoir enregistrer de nouvelles recettes. Mécaniquement, la trésorerie du promoteur, qui était déjà en difficulté, continue de s’amoindrir très fortement…

Evergrande peut-elle sortir la tête de l’eau ?

Evergrande en Chine, c’est plus de 200.000 employés et une dette de quelques 260 milliards d’euros. Dans une lettre adressée à ses employés, Xu Jiayin leur a assuré que les chantiers allaient reprendre très rapidement et que le groupe sortirait de sa période la plus sombre. En réalité, la reprise des chantiers est une obligation pour pouvoir les mener à termes et être payés. Et vues les sommes déjà engagées, ce n’est plus le moment de faire demi-tour… Toutefois, depuis le début de la semaine, les actionnaires sont quant à eux de plus en plus sceptiques : l’action a baissé de 17% lundi et près de 90% depuis le début de l’année. Les agences de notations semblent être en accord avec les craintes des actionnaires (ou inversement ?) puisque Standard & Poor a dégradé la note d’Evergrande et ses filiales à CC en considérant le risque de défaut de paiement de la dette très élevé.

Beaucoup d’investisseurs surveillent la réaction du gouvernement chinois sur ce dossier. Certains experts sont persuadés que l’Etat, qui ne veut surtout pas être protectionniste avec un investisseur, ne viendra pas au chevet du géant de l’immobilier. Le gouvernement pourrait mettre les actionnaires face à leurs responsabilités et en leur faisant comprendre que ce n’est pas au contribuable de soutenir une entité privée, ce qui est une vision crédible avec un gouvernement communiste. La faillite, le défaut de paiement d’Evergrande et la dette qui lui est rattachée seraient alors supportés par le milieu bancaire mais le gouvernement veillerait à ce que les capitaux chinois ne soient pas lésés par rapport aux capitaux étrangers…

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Guillaume Blanc

Fondateur d'ImmoPotam.com. Sujets de prédilection : neuf / VEFA, Pinel, PTZ, déficit foncier, Ile-de-France... Tous ses articles