Illustration (t3ddy4rt / Pixabay / ImmoPotam).

Que faire face à un abandon de chantier ?

Si nous vous recommandions de choisir avec la plus grande attention votre artisan pour réaliser des travaux, malheureusement, il est des situations inévitables où les précautions prises ne suffisent pas. Le chantier alors se complique et vous faites face à la désertion de votre entrepreneur. Dans ce cas, n’attendez pas !

Contrairement à une idée reçue, l’abandon de chantier n’est pas l’apanage du particulier profane de l’immobilier qui fait construire sa maison individuelle. Bon nombre de professionnels (promoteurs, architectes, constructeurs en tout genre, etc) intervenant sur des chantiers de plus ou moins grande ampleur sont confrontés à ces situations qui, hélas, ont tendance à se multiplier ces derniers mois, du fait notamment du contexte d’après confinement. A la suite de la crise sanitaire, beaucoup d’entrepreneurs du BTP, confrontés aux contraintes du confinement mais également de la pénurie de matières premières, ont pris du retard sur leurs chantiers. Si la majorité assume finalement l’achèvement de ses engagements, certains, moins consciencieux délaissent quant à eux leur ouvrage au point de l’abandonner totalement. Ceci n’est évidemment pas tolérable, d’autant plus que dans la plupart des cas qui me sont confiés, les acomptes ont été versés pour la quasi totalité (voire la totalité), sur demande express de l’artisan et sous couvert de monnaie d’échange pour finir le chantier. Si je ne saurai que trop vous conseiller de ne pas céder à ce chantage, je vous recommande en revanche d’agir au plus vite avec les solutions judiciaires efficaces.

1ère étape – le préalable : l’impératif d’un constat d’huissier et d’un devis

A titre limaire, il convient d’identifier l’abandon de chantier : ce dernier se distingue d’une simple vacation temporaire de votre entrepreneur lors d’un congé estival ou alors pour cause de force majeur (imprévisible, irrésistible et extérieure, comme des intempéries exceptionnelles). Il doit s’agir ici d’une véritable défection sans motif. La jurisprudence estime qu’à défaut de délai indiqué sur le devis, le temps de réalisation moyen d’un chantier doit être de trois mois. Toutefois, l’analyse est casuistique et vous devez jauger entre l’absence régulière et l’oubli total. En général, tomber sur le répondeur de votre entrepreneur à chaque tentative d’appel doit vous faire pencher pour la seconde solution.

Le cas échéant, ne laissez pas durer la situation et faites établir un constat d’huissier. Pour rappel, les huissiers sont des professions libérales réglementées (comme les avocats par ailleurs) et ont un devoir d’objectivité stricte dans l’observation de votre situation. L’huissier vous fournira dès lors un rapport impartial qui servira de fondement à votre action ultérieure. Toutefois, l’huissier n’est pas un professionnel de l’immobilier et il ne sera pas apte à vous apporter une analyse technique. De ce fait, établissez dans les plus brefs délais un ou plusieurs devis par des entreprises concurrentes pour avoir une idée du coût de la reprise du chantier. Ce devis vous permettra de revendiquer une prise en charge ultérieure auprès d’un magistrat.

2ème étape – l’amorce : l’obligation d’une mise en demeure préalable

Fort des deux éléments précités, vous pouvez amorcer la procédure pour récupérer la main sur votre chantier. Or, vous ne pouvez pas vous débarrasser comme cela d’un entrepreneur négligent. Rappelons que vous êtes tenus par une convention de prestation de service et que “les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits” (article 1103 du Code civil). Heureusement, ce même Code civil vous permet également de vous délier de vos engagements vis-à-vis d’un prestataire indifférent. L’article 1217 du Code civil prévoit en effet quatre types de sorties alternatives d’un contrat : le refus ou la suspension d’exécution de l’obligation, l’exécution forcée ou en nature, la réduction du prix ou la résolution du contrat. Dans les quatre cas, le créancier de l’obligation, c’est-à-dire vous, doit préalablement “notifier” à son débiteur, c’est-à-dire votre entrepreneur, son intention de mettre un terme à son contrat, à défaut de réalisation de sa part dans un délai raisonnable. Plus simplement, aucune action contentieuse n’est envisageable sans mise en demeure préalable excipant les carences de votre artisan.

En outre, cette condition de mise en demeure doit comporter une tentative de conciliation amiable, comme le prescrit l’article 58 du Code de procédure civile. Condition renforcée par une obligation de rencontrer un conciliateur de justice pour toute prestation inférieure à 5.000 euros (article 750-1 du Code de procédure civile). A défaut de quoi votre procédure sera nulle dès ses prémisses et vous aurez perdu votre temps. Enfin, rappelons que la mise en demeure doit être adressée en lettre recommandée avec accusé de réception et, par expérience, je ne saurai que trop recommander de la faire rédiger et envoyer par un avocat qui sera y mettre l’ensemble des éléments juridiques permettant par la suite de favoriser la réussite de l’action judiciaire et, in fine, la récupération de votre chantier.

3ème étape : le choix de la mesure opportune

Comme indiqué précédemment, le Code civil propose tout un arsenal de mesures pour se délier d’un entrepreneur négligent et parvenir à vos fins quant à la réalisation de vos travaux. De ce fait, l’article 1217 du Code civil rappelle que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation
– obtenir une réduction du prix
– provoquer la résolution du contrat
– demander réparation des conséquences de l’inexécution

Les sanctions, qui ne sont pas incompatibles, peuvent être cumulées et des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter. A mon sens, il y a deux sortes de solutions proposées par le Code civil :
– une solution pécuniaire consistant à procéder à une rétention des acomptes ou à obtenir une réduction du prix de la prestation. Cette solution n’est viable que pour des travaux suffisamment avancés et pour lesquels il convient surtout d’exercer une pression sur l’entrepreneur pour les achever ou obtenir un geste commercial compte tenu du caractère peu rigoureux du service
– une solution de contrainte : consistant cette fois-ci en une exécution forcée ou, à défaut, une résolution du contrat. Dans ce cas, il s’agit d’obtenir la réalisation du chantier soit par l’entrepreneur, de manière forcée, soit par une autre entreprise.

De mon point de vue, la deuxième solution me paraît plus adaptée. Effectivement, que vous demandiez une exécution forcée à l’encontre de l’artisan, sous astreinte judiciaire, ou que vous sollicitiez la résolution du contrat, pour saisir un autre prestataire, vous pourrez toujours demander une indemnité pour “la réparation des conséquences de l’inexécution”.

En tout état de cause, vous ne pourrez pas solliciter une résolution du contrat et une exécution forcée ou une réduction du prix et une astreinte judiciaire. Pour choisir la procédure adéquate, il faudra solliciter l’intervention d’un avocat pour vous conseiller, d’autant plus que la plupart des procédures en la matière nécessitent une postulation d’avocat.

4ème étape : le choix de la procédure (un référé, du fond, du pénal ?)

En matière d’abandon de chantier, je conseille souvent une procédure rapide car, à mon sens, la priorité est de récupérer le chantier et de permettre sa reprise et sa finalisation. En ce sens, la procédure devant le juge des référés est la plus adéquate. Elle permet d’obtenir une date d’audience dans les plus brefs délais (encore plus bref s’il s’agit d’un référé d’heure à heure). Elle est par ailleurs efficace pour les demandes d’astreinte ou les demandes de résolution du contrat, avec prise en charge des frais de reprise du chantier par l’entreprise défaillante. En revanche, l’inconvénient réside dans le fait que le juge des référés est un juge de l’évidence et, de ce fait, en cas de contestation sérieuse, il déboutera les parties de leurs prétentions.

Dans un tel cas, lorsque vos demandes sont équivoques et contestables, mieux vaut saisir un juge du fond. Cela n’est pas exclusif d’une saisie préalable d’un juge des référés dès lors que les questions soulevées ne sont pas les mêmes devant les deux juridictions. C’est le cas notamment si vous sollicitez une astreinte ou une résolution en référé et que vous introduisez ensuite une action au fond pour faire une demande indemnitaire. Cela peut être par ailleurs pertinent si vous revendiquez un préjudice autre que le coût de reprise du chantier par une autre entreprise ou alors que votre entrepreneur est en difficulté financière et que vous souhaitez actionner, par exemple, sa garantie multirisques professionnels.

Il existe par ailleurs une dernière alternative, celle pénale. C’est le cas lorsque votre entrepreneur a pris des acomptes mais n’a pas accompli le travail. Son silence peut parfaitement être interprété comme une escroquerie au sens de l’article 313-1 du Code pénal. Cette option, certes plus longue, doit être méditée en ce qu’elle permet aux magistrats de poursuivre l’entrepreneur pour votre compte. En outre, un dépôt de plainte peut s’avérer parfaitement dissuasif !

En conclusion, face à un abandon de chantier, ne laissez pas traîner. Les solutions existent et vous pouvez, par une attitude proactive, permettre une résolution efficace et rapide de votre problématique.

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Charles Dulac

Fondateur de Dulac Avocat et contributeur pour ImmoPotam. Sujets de prédilection : copropriété, syndic, résidence principale, investissement locatif, Ile-de-France... Tous ses articles Le contributeur est enregistré sous l'identifiant SIREN n°827.880.261.