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5 questions à… Emmanuel Linossier

Ancien directeur commercial chez Kaufman & Broad (après avoir passé dix ans comme commercial puis gravi les échelons du management), indépendant chez Thibault Chanel Immobilier, Emmanuel Linossier œuvre désormais pour Alexandre Gouin Immobilier et fait partie de ceux qui peuvent apporter un véritable savoir-faire sur l’immobilier résidentiel, aussi bien dans le neuf comme dans l’ancien. Pour ImmoPotam, il nous partage son ressenti sur un marché en pleine mutation…

Vous êtes spécialiste de l’immobilier francilien et vous avez acquis une première expertise en évoluant pendant des années dans l’immobilier résidentiel neuf (VEFA). Quel regard portez-vous sur la conjoncture actuelle, l’état des stocks chez les différents promoteurs et les éventuelles ventes en bloc ?

J’ai quitté cette branche de l’immobilier à un moment clef, avant la crise et le Covid-19, et je n’ai donc heureusement pas eu de l’intérieur à faire ou à appliquer les choix stratégiques difficiles qui ont dû être mis en place à ce moment-là (nombre de promoteurs se sont séparés de la quasi-totalité de leur force de vente). Les ventes en bloc sont un mal nécessaire : ils permettent aux promoteurs de sécuriser des opérations, voire d’en obtenir, quand le bailleur social est la clef de voute d’une nouvelle réalisation. Ces ventes en bloc ne doivent cependant pas trop “dévaloriser” l’achat par des acheteurs privés : comment expliquer à ces derniers qu’ils paient beaucoup plus cher du mètre-carré pour des prestations moindres, avec des bâtiments parfois moins bien placés… Il faut quand même reconnaître que sans ces ventes aux bailleurs institutionnels pilotés par l’Etat, la plupart des promoteurs auraient fait faillite vu le cauchemar que nous avons tous traversé. Il faut dès que possible retrouver un équilibre sain entre acheteurs privés et bailleurs institutionnels pour considérer que le secteur est aujourd’hui à nouveau autonome et plus sous perfusion artificielle.

Vous êtes maintenant orienté vers le marché de l’ancien, principalement à Paris, et on observe des prix qui baissent ou qui stagnent. Doit-on attendre que les prix continuent de chuter avant d’acheter ?!

La légère baisse des prix constatée cet hiver était une bonne chose : elle rappelait à chacun que l’immobilier n’est pas un marché de dupes et que des biens, certes situé dans le même secteur mais présentant des qualités objectivement différentes, ne peuvent pas être au même prix. Cela venait mettre un terme définitif au marché euphorique dicté par les vendeurs qui, quelques mois plus tôt, vendaient n’importe quoi à n’importe quel prix, ce que je déplore. Depuis février, on sent un réel regain d’activité sur le marché immobilier ancien, dopé par des taux d’intérêt encore attractifs.

On entend de plus en plus parler d’exode urbain. Est-ce une réalité ? Un phénomène de mode ?

C’est bien loin d’être un phénomène de mode mais bien une réalité quasi ethnologique sur un changement de consommation du “produit logement” commandé par deux facteurs majeurs. D’une part, le confort de lieu de vie : le confinement a forcé les personnes à rester chez elles, avec leurs proches (en particulier les enfants), et une partie d’entre elles a réalisé que leur logement n’était plus adapté à leurs besoins, à leurs goûts ou à la taille de la cellule familiale. D’autre part, la Covid-19 a fait faire à la France un bond de vingt ans en avant sur la culture du home-working très mal vu dans l’Hexagone jusqu’alors. Par conséquent, naturellement les Franciliens ou Parisiens ont commencé à comparer la qualité de vie en Province (surtout avec un salaire parisien), avec les contraintes et le prix de la vie en Ile-de-France. Beaucoup en sont arrivés à la conclusion que quitter Paris était le meilleur choix, en particulier les familles qui n’auraient plus à s’entasser dans des logements trop exigus. Je ne pense pas que ce soit une mode : bien au contraire, c’est un vrai changement de mode de vie qui va s’inscrire dans le temps de façon durable.

Après une multitude de confinements, comment voyez-vous évoluer ce secteur d’activité ?

L’immobilier reste un besoin constant. Les confinements ont, je pense, redonné sa vraie valeur au foyer comme étant un plaisir tout autant qu’un besoin. Les acteurs de l’immobilier doivent repenser les cellules de vie pour les constructions neuves et une manière différente de présenter l’immobilier pour ceux qui le présentaient alors comme un produit lambda. Non : l’immobilier est ce cadre où vous vivez, où vous profitez de vos proches, ce n’est pas un simple produit de consommation, c’est une extension de vous-même.

Vous êtes ministre du Logement dans un prochain gouvernement* : que feriez-vous en faveur de l’immobilier et du BTP ?

Ohla, vaste chantier ! Plusieurs grands thème sont à réfléchir. La simplification des normes qui sont trop contraignantes aujourd’hui (plus de 4.000 normes s’appliquent, certaines sont absolument nécessaires d’autres sont aberrantes). La chasse aux recours abusifs qui sont devenus un vrai sport national et un vrai moyen d’extorsion de fonds. Le maintien de lois de défiscalisations efficaces permettant aux investisseurs privés de se substituer aux bailleurs sociaux, que ce soit dans la construction neuve mais aussi dans le bâti ancien, pour permettre une rénovation conséquente de celui-ci, en particulier quand on aborde le thème des “passoires énergétiques”…

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*L’interview a été réalisée en-dehors de l’élection présidentielle de 2022 : la réponse est dissociée de l’actualité et de tout partisanisme politique.